J’espérais ne jamais devoir écrire cet article, mais ma conversation d’aujourd’hui avec une personne ayant investi une somme considérable – les économies de toute une vie – dans des biens dégradés situés dans une ville où personne ne recommande d’investir (aux États-Unis, du moins), m’a convaincu qu’il ne faut plus garder le silence sur ce que j’appelle « Les Français plantés par les Français ».
L’objectif de cet article n’est pas de vous effrayer, mais de vous mettre en garde et de vous inciter à ne pas prendre pour argent comptant tout ce que l’on vous dit. Le fait qu’une personne parle votre langue, ait une bonne présentation et soit citée dans une presse peu regardante en France ne signifie pas nécessairement qu’elle vous veut du bien.
Voici quelques adages à garder à l’esprit :
- Les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent.
- Tout ce qui brille n’est pas or.
- Si cela semble trop beau pour être vrai, c’est probablement parce que ce n’est pas vrai.
Pourquoi les gens se font-ils avoir ?
Ce n’est pas du tout par manque d’intelligence !
Tout d’abord, ils ont envie d’y croire. Ils souhaitent obtenir un meilleur rendement pour leur argent que ce que leur offre le livret A, et rêvent des fameux « revenus passifs ». Cependant, dans les faits, les opportunités exceptionnelles sont rares et souvent ultra-confidentielles.
Ensuite, ils se laissent éblouir par la réussite de leur interlocuteur, le fameux rêve américain.
Enfin, ils sont loin de chez eux et ne maîtrisent pas le marché en question, si bien qu’ils accordent leur confiance trop facilement.
Remontons le temps pour évoquer la première escroquerie à laquelle nous avons été confrontés : des terrains vendus à bas prix à Port Charlotte, en Floride.
Entre 2008 et 2012, un courtier francophone a revendu des terrains constructibles à Port Charlotte pour environ 30 000 $. Avec le taux de change de l’époque, cela mettait le terrain constructible à approximativement 20 000 €. Quelle aubaine ! Il annonçait des plus-values futures exceptionnelles ! Il oubliait simplement de mentionner qu’il avait acheté ces terrains une semaine auparavant pour seulement 3 000 $. Le prix avait donc été multiplié par 10 en une semaine ! Effectivement, c’était une affaire exceptionnelle… pour lui. Ces terrains étaient isolés et situés dans une zone confrontée à des problèmes écologiques (nids de tortue). Plus de 10 ans après, leur valeur oscille entre 4 000 et 6 000 $, soit cinq fois moins que le prix d’achat. De plus, il a fallu s’acquitter des taxes pendant 10 ans. Certains ont cessé de payer les taxes, et les terrains ont été saisis.
Nous avons découvert cette escroquerie en 2015 lorsque des personnes nous ont contactés pour obtenir une estimation de la valeur de leurs terrains et pour nous demander si nous pouvions les revendre. Un expert-comptable ayant acheté 10 de ces terrains a même pleuré au téléphone.
Peu de temps après, une personne nous a contactés pour revendre quatre terrains qu’elle avait achetés auprès d’un Français à Vero Beach. Les terrains n’étaient pas de si mauvaise qualité. Cependant, lorsque nous avons demandé les titres de propriété, nous avons reçu des “quit claim deeds” au lieu des “general warranty deeds” ou des “special warranty deeds”. Le quit claim deed est un titre de propriété ultra-allégé et ultra-rapide utilisé dans des cas bien précis (comme le transfert rapide d’un bien à son enfant) mais pas dans une vente normale, car il ne purge aucune dette et ne garantit pratiquement rien. Or, les terrains en question étaient grevés de dettes et de divers problèmes, ce qui les rendait invendables.
Dans un cas similaire, un marchand de biens français à Orlando vendait des biens qu’il avait achetés et prétendument rénovés avec une majoration de 20 à 30 % par rapport au prix du marché. Il faisait aussi supporter à l’acquéreur tous les frais qui sont normalement à la charge du vendeur aux États-Unis, tout en prenant une importante commission en euros en France. Le marché ayant heureusement fortement augmenté depuis, la plupart des acheteurs ont pu absorber le “sur-prix” payé récemment et revendre sans perdre trop d’argent.
En 2018, nous avons représenté Miami Realtor (équivalent de la FNAIM) au salon de l’immobilier à Paris. Et, là, notre stand était en face d’une personne (en prison depuis) qui vantait, avec une immense affiche, les biens immobiliers à Détroit avec 15 à 20% de rentabilité. Sauf que nous avions déjà entendu parler de ces personnes (pas en bien). D’ailleurs, assez vite, une tierce personne s’est installée en face de leur stand et a parlé à toutes les personnes qui essayaient de prendre des renseignements et leur expliquaient qu’il avait tout perdu à cause d’eux. Cela a ensuite été largement développé dans la presse. (Médiapart, La Provence ). Lors de ce salon, nous sommes intervenus auprès des organisateurs afin de leur demander de vérifier un peu mieux qui ils invitaient et auprès de la revue Investir, car ils chantaient les louanges de Détroit. L’année suivante, Investir nous a d’ailleurs donné la parole sur la ville d’Orlando. Cette escroquerie a eu des conséquences lourdes pour des personnes qui y ont laissé toutes leurs économies. La Security Exchange Commission s’est d’ailleurs récemment saisie du dossier (communiqué officiel de la SEC). Il y a des noms qui ressortent clairement dans cette action, mais, ce qui est troublant, c’est que des personnes qui ont été associées à ceux-ci sont aujourd’hui très présents dans les médias et sur les réseaux sociaux pour des offres immobilières aux USA.
Toujours dans les histoires folles (et tristes) , nous avons rencontré un jour une personne lors d’un cocktail qui nous a informé qu’il montait “un fond d’investissement en murs commerciaux” et qui m’a annoncé des taux de rentabilité à deux chiffres (encore une fois). Il va sans dire que le contact avait été moyen. Ce qui a été encore plus fort, c’est quand un ami m’a appelé pour me dire que la même personne lui avait proposé de l’argent pour qu’il me convainque d’investir avec lui. “Il proposait de l’argent à mes amis pour qu’ils me parlent de lui en bien….”, vous avez bien lu.
Vendre des biens immobiliers sous forme de parts ne relève plus du marché de l’immobilier (et donc de la Florida Real Estate Commission (FREC) mais des placements financiers, donc de la SEC. Il va sans dire qu’à partir de là le drapeau rouge vif était levé et que nous avons commencé à prendre des renseignements :
- Cette personne avait bien une licence de la SEC, mais, lors de la demande, elle avait, à priori, omis de leur signaler qu’elle avait été condamnée à 3 ans de prison ferme en France (non exécutée, car en fuite aux USA) pour une escroquerie : pyramide de Ponzi sur fond de ventes de terrains en Floride…
- Nous avons prévenu tout notre réseau de ne donner aucune suite à des demandes de cette personne et avons prévenu les autorités françaises à Miami.
Plus récemment, nous avons été contactés par de nombreuses personnes par rapport à des investissements immobiliers à Cleveland. Les caractéristiques étaient les suivantes :
- Des maisons soi-disant rénovées pour 50 à 70,000$
- Des rapports “garantis” à 2 chiffres
- Des biens dans des quartiers difficiles, souvent des biens en Section 8 (logements sociaux)
- Des intervenants français ou belges…
Pas plus tard que cette semaine (05/07/2023), nous avons rencontré une personne qui a acheté une maison à Cleveland pour $83,000 alors que le « marchand de biens » l’avait acheté 3 semaines avant pour moins de $8,000, travaux mal ou non réalisés ! Sur le marché, cette maison « rénovée » doit valoir environ $20,000 actuellement.
Dans le cas de Cleveland, nous avons déjà eu connaissance, au minimum, de deux actions en justice pour fraude dans des opérations de ce type, contre de Français.
Et, finalement, des biens non loués, voire squattés, très dégradés, impossibles à revendre et des intermédiaires qui cessent de répondre voir deviennent menaçants. Là aussi, des patronymes reviennent que l’on avait déjà vu à Detroit ou dans le Dakota (ça, c’est encore une autre histoire triste sur fond de puits de pétrole).
Dans la continuité, lors d’une conférence que nous avions organisée à Marseille, nous avons été pris à partie par deux gestionnaires de patrimoine qui ne toléraient pas que nous critiquions l’investissement immobilier à Détroit. C’était quelques mois avant que l’affaire citée plus haut n’explose. Nous avons vite compris : la commission qu’ils touchaient par bien vendu à un de leurs clients était de $10,000 pour un bien de $70,000. Par comparaison, nous à l’époque, nous proposions $1,500 environ, (25% de la commission que nous percevons en tant qu’agent immobilier) pour un bien de $250,000. Clairement, nous n’avons plus jamais entendu parler d’eux.
Dans les choses folles que l’on a vues aussi :
- Un agent immobilier qui se fait désigner comme gérant de la société des clients investisseurs… Ben voyons…
- Un agent immobilier qui a procuration sur les comptes du client… “parce qu’on fait comme cela aux USA”
Il y en a d’autres… Mais, j’arrête là d’en jeter. Par contre, je vois passer actuellement des offres qui me font froid dans le dos, par exemple :
- On promet encore des rentabilités fabuleuses à deux chiffres
- On parle d’un algorithme presque magique qui permettrait de déceler les bonnes affaires (les Américains ne l’ont pas trouvé, c’est trop ballot, c’est vrai que les Américains et les algorithmes, ça fait deux)
- On ne s’adresse quasiment qu’à des Français via des groupes sur les réseaux sociaux
- Aucune précaution d’usage, aucun appel à la prudence n’est présent dans la communication : la publicité pour ce type de placement est INTERDITE sauf à ne s’adresser qu’à des accredited investors, une notion bien définie dans le droit américain
- On s’autorise à ne pas respecter les règles prudentielles fédérales parce que l’investisseur est étranger
- Les réalisations annoncées dans la presse varient du simple au double, la même semaine, dans deux articles différents sur des sites web Franco-Américains (articles “partenaire”, mais je pense que l’annonceur ne peut pas se défausser de sa responsabilité)
- Des intervenants qu’on à déjà vu à Détroit, à Cleveland…
Cet écosystème de l’arnaque joue sur plusieurs ressorts :
- Votre méconnaissance du marché américain
- Les yeux qui brillent vis-à-vis du rêve américain, de ces Frenchies qui ont réussi aux USA (mention spéciale à M6, BFMTV… vos émissions sur le sujet sont juste horribles). Je précise aussi ici qu’un article dans Forbes signifie une seule et unique compétence, celle de pouvoir payer $5,000 pour y figurer.
- Sur votre honte de vous être fait avoir ensuite qui vous empêche de réagir (et les menaces si vous communiquez, des actions dites “cease and desist” qui sont du bluff, mais font peur)
- Sur le fait qu’un procès aux USA vaut une fortune et que vous n’êtes même pas sûr de gagner. En effet, ici, c’est à l’acheteur de se méfier : “you have to do your homework”…
En gros, ils jouent sur du velours.
Quelques conseils pour finir :
- Soyez très prudent avec le modèle “marchand de biens avec travaux”, achetez des biens qui sont visibles sur le MLS (Zillow par exemple)
- Faite procéder à une inspection du bien par un inspecteur que vous choisissez vous-même (sur Google: home inspection)
- Demander une Comparative Market Analysis, qui vous montrera les biens du même type en vente et vendus récemment dans le même quartier
- Contactez plusieurs personnes, recouper les informations,
- Si vous vous adressez à un agent immobilier, demandez-lui son numéro de licence (dans certains états les plaintes sont publiques et visibles en ligne), demandez-lui s’il est assuré en liability (responsabilité professionnelle) et Errors & Omissions
- Qui dit rentabilité élevée, dit risque élevé. Une rentabilité locative normale aux USA est de 9 à 10% brut, 5 à 6% net. Au-delà, vous êtes dans un contexte risqué.
- Regardez les sites américains sur les mots “best cities for rental properties” (exemple), vérifiez ce qui est dit sur la ville dans laquelle vous souhaitez investir. Utilisez un VPN (virtual private network) pour que votre recherche vous donne les vrais résultats américains
- Si un gestionnaire de patrimoine vous propose ce type de placement en France, demandez-lui la transparence sur la commission qu’il perçoit,
- Ne faites pas aux USA ce que vous ne feriez pas en France, c’est triste d’avoir à dire cela, mais soyez méfiants !!! Quand vous avez un doute, ne faites pas. Gardez votre bon sens en alerte.
Si vous avez déjà souscrit à de telles offres, réunissez un maximum de documentation, demandez des preuves, ne vous contentez pas de bonnes paroles ou de promesses et, au besoin, consultez rapidement un avocat pour vous assurer de la légalité des pratiques et de la sauvegarde de vos intérêts. Dans le pire des cas, il faudra malheureusement attaquer en justice et dans ce cas, ce sont souvent les premiers qui attaquent qui récupèrent quelque chose.
Je salue au passage Le Courrier de Floride qui régulièrement attire l’attention sur ces problématiques et incite ses lecteurs à la prudence. C’est, à ma connaissance, la seule publication Francophone aux USA qui le fasse alors que c’est indispensable : Faut il investir dans les villes pauvres des États-Unis , Arnaques immo à Détroit : Mandat d’arrêt international contre un Français de Miami.